Le Phénomène : Qui Veut Être Mon Associé

Qui veut être mon associé, un phénomène qui s'installe de plus en plus en France.

1,89 million, c’est le nombre de personnes qui ont visionné le premier épisode de la saison 3 de Qui Veut Être Mon Associé, sur M6. QVEMA, c’est des centaines de milliers d’euros levés pour des start-up françaises. C’est la première apparition d’une émission du genre sur une chaîne majeure en France. Et pourtant, c’est un concept qui existe depuis plus de 20 ans, qui a été traité en long, en large et en travers dans le monde anglo-saxon et outre-Atlantique. Son adaptation en France a donc pris un temps considérable et s’est faite de façon assez… édulcorée. On va tenter ensemble de comprendre pourquoi et comment QVEMA réussit à faire son trou en France. Comment la production a réussi à modifier le format pour le rendre acceptable sur le marché français. On va tenter de comprendre les recettes de fabrication et les mécanismes de distribution, qui ont fait le succès de cette émission. Bref, c’est parti, je vous emmène au cœur du phénomène, Qui Veut Être Mon Associé.

Un concept d'émission fort, mais qui existe depuis très longtemps.

Quelques mots sur le concept d’abord.
C’est une émission de télévision, qui vise à faire se rencontrer des investisseurs et des entrepreneurs, pour une session de pitch et de levée de fonds, filmée. Un concept, qui nous vient initialement d’Angleterre, et qui cartonne outre-Manche depuis plus de 20 ans. Mais nous y reviendrons. Le format, repris par M6 depuis 2020, s’est installé, tous les ans, début janvier sur la case de 21h10 de la chaîne.
Il convoque, comme je le disais, environ 1,9 million de spectateurs sur sa troisième saison sur ses épisodes hebdomadaires. Ce qui est en hausse de près de 25 points depuis la première saison, mais qui reste encore, un poil en dessous de la moyenne de la chaîne sur cette case.

Le format connaît donc un succès relatif auprès du grand public. Suffisant cependant, pour que la production et la chaîne, décident de lancer la saison 4 début 2024. C’est notamment un format qui cartonne et anime beaucoup sur l’écosystème LinkedIn français. Mais qui a encore du mal à vraiment rencontrer un public important à l’échelle nationale.

La mise en image et la réalisation de l'émission "Qui Veut être Mon Associé"

Levée de fonds filmée donc, qui se matérialise de la façon suivante : 
Des portraits des investisseurs et des candidats, une mise en scène dramaturgique de leur rencontre sous fond de musique entraînante. Une session de pitch assez courte et punchy au cours de laquelle les investisseurs écoutent attentivement les candidats. Puis une session de questions-réponses, à bâton rompu où les investisseurs challengent les projets et les entrepreneurs. Et évidemment, une session de négociation, lorsque les projets intéressent les investisseurs. La réalisation est assez classique, dans des codes de télévision. On y retrouve notamment un joli mouvement de grue pour donner de l’ampleur à tous les déplacements, puis une réalisation multicaméra, assez rythmée pour créer un sentiment de tension entre les protagonistes.

Globalement, c’est un format qui fonctionne dans sa mécanique. En même temps, elle a été largement éprouvée sur beaucoup de marchés à l’échelle mondiale, et le format connaît toujours ou presque, un grand succès. Mais ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de voir les évolutions que la production a dû conduire pour faire accepter le format au marché français 20 ans après son apparition dans le monde entier. Et croyez-moi, elles sont nombreuses, lorsqu’on analyse le format originel et le format français. C’est un peu comme jouer aux 7 différences. Qui veut être mon associé a complètement modifié les codes de son émission originelle : Dragons’ Den.

Comme je le disais, ce sont les Anglais les premiers à avoir instauré le format. Et là-bas, il ne s’appelle pas Who Wants To Be My Partner. Il s’appelle Dragons’ Den (le Nid des Dragons). Qui n’est pas sans rappeler Shark Tank (l’aquarium des Requins) des États-Unis ou d’Australie, ou encore l’Œil des Dragons, au Canada. Ce qui est déjà une preuve flagrante de l’édulcoration du contenu. Cela commence par le titre et se matérialise dans tout le reste. Regardons le décor et la direction de lumière. Le décor français est hyper éclairé. Ponctué de plantes vertes et d’éléments chaleureux. Le parquet est brillant, bref, on est plongé dans un univers visuel rassurant et Feel Good. La version anglaise, en revanche, est conçue pour amener de la tension. Le décor est très industriel, composé de briques et d’un sol sombre. Les matières sont beaucoup plus brutes et l’environnement lumineux est globalement sombre. Sur l’environnement audio ensuite. Faites l’exercice de fermer les yeux et d’écouter la réalisation audio des deux formats. Dans QVMA, les musiques sont douces et joyeuses. Sur Dragons’ Den, elles sont graves et stressantes. De plus, la version anglaise dispose d’une voix off qui ramène une gravité et une intensité, qui est inexistante dans la version française. Sur la réalisation ensuite.

Dans la version anglaise, l’utilisation du zoom optique, technique régulièrement utilisée dans les séries et les fictions du monde anglo-saxon, simule un effet de concentration extrême et de focus. Elle ramène une gravité dans les émotions, technique qui est inexistante dans la version française. Et pour finir, dans le profil des investisseurs et dans leurs interactions. Même si le brillant Anthony Bourbon apporte de la gravité et de l’intensité, globalement le format français est très, très bisounours. On sent vraiment de la bienveillance et de la gentillesse à tous les étages. Moi personnellement ça me dérange énormément.

Je trouve qu’on est face là, à une complète dénaturation du réel. La levée de fonds, ce n’est pas quelque chose de doux et de léger. C’est le parcours du combattant, c’est la violence dans les mots, c’est le challenge permanent. Et c’est quelque chose qu’on retrouve dans Dragons’ Den, avec des personnalités très tranchantes, extrêmement acerbes, et rentre-dedans, contre la molesse et la bienveillance de la version française. Mais bref, cela n’est que mon avis. Et quand on voit que malgré tous ces efforts d’édulcoration, on peut encore lire des remarques comme : QVEMA fait la promotion du patronat, on se dit que la France n’est juste pas suffisamment mature sur les sujets business pour qu’une émission comme Dragons’ Den puisse marcher, et c’est bien dommage.

Car pour la petite histoire, Dragons’ Den est mon émission de flux préférée.

La distribution de "Qui veut être mon associé", ou comment faire péter une émission de TV sur le Web

La parenthèse étant fermée, on va s’intéresser un peu à la distribution. QVEMA a un succès relatif sur ces 3 premières saisons en broadcast.

Cependant, elle présente des scores très intéressants sur ses interfaces de contenus web. Avec à la fois des distributions de capsules fortes en 9/16e, sur TikTok, Reels et Shorts, sur les comptes de l’émission, ainsi que des reprises par les candidats pitchers, les investisseurs et beaucoup de commentateurs. L’émission réussit à maximiser son impact suffisamment pour embrayer à nouveau sur une 4e saison.

Après avoir été cherché l’ex-footballeur devenu investisseur Blaise Matuidi, et cette année Tony Parker, la production a fait deux jolis coups de filet qui vont permettre de remettre encore un peu plus le format sous le feu des projecteurs. Pour conclure donc, je dirais que QVEMA à réussit son pari, d’amener en France un contenu autour du business à une heure de grande écoute ce qui n’était pas gagnée. Que pour ce faire, la production à du user de ruse, pour convertir un format de tension et de stress, en un programme familial et feel good, et que la transition à été bien opérée. 

C’est aussi une bonne compréhension des nouveaux codes de distribution, avec une vrai présence en ligne avec des contenus extraits des formats longs et réemployés en 9/16 ème.